La publicité le dit en une seule phrase : porter un manteau de zibeline, c'est entrer dans un cercle d'initié.
La zibeline, c'est la fourrure la plus chère du monde, la fourrure de la martre du Canada.
Il y a quelques siècles, avant qu'un manteau en zibeline ne coûte 12500 €, avant que la mode ne comporte ses cercles d'initiés, avant la révolution industrielle, avant les machines à laver, et avant la colonisation du continent nord-américain par les trappeurs français, avant tout cela, la martre du Canada faisait partie du cercle de toutes nos relations.
Dans son livre, tresser les herbes sacrées, Robin Wall Kimmerer explique que de nos jours, les trappeurs sont ceux qui passent le plus de temps dans la nature sauvage. Ils tiennent un carnet et établissent un rapport annuel de piégeage, un rapport dans lequel les trappeurs indiquent le nombre d'animaux qu'ils ont capturé, vendus, ou conservés , des données qui permettent de surveiller les populations d'animaux à fourrure.
Avant les iPad, les ordinateurs, avant les tableaux Excel, les nations amérindiennes avaient déjà atteint une grande expertise dans la connaissance de la faune sauvage. Leur expertise, démontrée par des siècles et des siècles de pratique, reposait sur quelques grands principes. Un des principes les plus importants, c'était le principe de la récolte honorable.
La fourrure de la martre d'Amérique, la zibeline du Canada est magnifiquement lustrée, chaude et légère comme une plume.
À présent, au 21e siècle, les martres font toujours partie de la vie quotidienne des trappeurs... et elles ne sont plus en voie de disparition. Les trappeurs sont en première ligne pour surveiller les populations et le bien-être de la faune, et ils ont la responsabilité de prendre soin des espèces dont ils dépendent.
Dans son livre, Robin Wall Kimmerer explique comment, à la fin de l'hiver, les trappeurs ont l'habitude d'enfiler leurs raquettes et de s'élancer dans la forêt, une échelle sur l'épaule, au bras un sac contenant un marteau, des clous, et quelques vieilles planches. Ils repèrent les vieux arbres, plantent fermement leurs échelles dans la neige, grimpent jusqu'à une branche, et construisent une plateforme en bois. Plusieurs jours de suite, Ils s'imposent la tâche de partir en raquette, dans la neige, chargés de leur échelle et de leurs outils. Puis, ils passent à la phase suivante : ils sortent un grand seau en plastique blanc du congélateur et le placent à proximité du poêle à bois pour le déjeuner. Pendant l'été, les trappeurs ont l'habitude de conserver les restes des poissons, puis de les congeler.
Arrivés à chaque plateforme dans la forêt, ils déposent une grosse pelletée de ces viscères de poisson sur chaque plateforme.
Lorsque l'on connaît les populations de prédateurs, on sait que tous les petits prédateurs comme la martre se reproduisent très lentement, surtout lorsque ils sont exploités pour leur fourrure. La gestion de la martre dure plus de 9 mois, les femelles ne mettent pas bas avant l'âge de 3 ans, elles ont des portées de 1 ou 2 petits, qu'elles n'élèvent que s'il y a suffisamment de ressources pour les nourrir.
Lorsque les trappeurs déposent leur restes de poisson sur des plateformes dans la forêt, les martres ont de bons repas, ce qui leur permet d'allaiter leurs petits, qui auront ainsi de meilleures chances de survie.
Les petites martres prennent soin des trappeurs, en leur offrant leur fourrure. Les trappeurs prennent soin des petites martres, en favorisant leur survie. Nourrir les martres, ça n'est pas de l'altruisme, c'est un profond respect envers le fonctionnement de la nature, les liens qui nous unissent, et le cycle éternel de la vie. Plus on donne, plus il est possible de prendre.
Et celle qui porte le manteau de zibeline, dans son bureau de la Défense à Paris, à parfois du mal à imaginer le monde des trappeurs, et le seau blanc qui contient des restes de poisson.
Et pourtant, pour éviter la destruction de la nature, la désertification des milieux, l'extension des espèces animales, il faut concevoir un mode de vie ou nous ne prenons que ce dont nous avons besoin, et nous rendons ce que nous avons pris pour nourrir la vie.
Ces règles de chasse et de cueillette, ce ne sont pas de gentilles coutumes des Indiens, de ceux qui, comme nous l'imaginons dans les stéréotypes de Walt Disney, parlent avec les sources et discutent avec les vieux arbres.
Ces règles, la récolte honorable, sont une réalité, une réalité qui est sur le point de faire son retour, car nous sommes forcés de nous souvenir que ce qui est bon pour la terre, c'est aussi bon pour nous-mêmes.
Pas seulement dans les immensités couvertes de neige du Nord du Canada. Non, la récolte honorable, cela s'applique aussi lorsque je fais mes courses au supermarché du coin.
Me voilà au rayon des fruits et légumes. Dans de petites barquettes en plastique, il y a d'appétissantes baies de cassis. Et, en regardant sur l'étiquette, où il est écrit en couleur fluo produit local, je vois que, en fait, je connais la productrice, parce qu'elle est une des patientes de mon cabinet.
La productrice a repris une ferme abandonnée, pour la développer avec ce que l'on appelle la sylviculture, une technique de culture sur plusieurs niveaux qui permet la symbiose entre différentes plantes, depuis les petites salades qui poussent au sol, les petites baies comme le cassis ou la framboise, les arbustes, et les arbres fruitiers.
Cette technique de sylviculture n'est ni plus ni moins que le mode de culture qui était universellement pratiquée dans les villages, au moins jusqu'au 18e siècle en France. On y ajoutait le pâturage libre des cochons, des vaches, et des chevaux.
La petite barquette de cassis me rappelait que j'avais eu de longues discussions avec cette fermière, cette femme qui, je n'en doutais pas, connaissait bien la nécessité d'un échange réciproque pour produire des fruits et des légumes de bonne qualité.
Le grand principe de la réciprocité, c'est ce qui garde l'honneur lorsque on récolte quelque chose. Et, même si je vais acheter des assiettes en carton, je peux ressentir de la gratitude envers les producteurs, ceux qui ont conçu et fabriquer le produit, et envers les arbres qui ont donné leur fibre pour que le carton puisse être produit.
Partout, en toutes circonstances, je peux appliquer les principes de la récolte honorable.
Et cela même dans un métier qui n'implique pas à contact direct avec la nature comme par exemple une activité de psychologue ou de psychothérapeute.
Avec le groupe Reset nous pensons que comprendre la récolte honorable, et connaître ses règles de base, c'est déjà un premier pas très important pour revenir à un cycle vertueux de production et de consommation, et cela même dans un environnement technologique. Les mois prochain, nous allons continuer à approfondir les principes de la réciprocité, de la gratitude, et de la récolte honorable.
Merci Sylvain pour ce bel exposé de ce qui devrait toustes nous imprégner dès lors que nous consommons.