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Peuples premiers, peuples occidentaux : deux regards, deux réalités.


Les spiritualités chamaniques sont dans l’ensemble fondées sur la connexion qui existe entre toutes choses, sur la reliance avec toutes mes relations, et aussi sur un amour universel qui nous dépasse, nous unit et ouvre nos cœurs.

Il y a des malentendus et des différences, c'est certain. Il y a un passé négativement chargé, de l'exploitation et de la colonisation, c'est sûr. Mais il y a aussi des valeurs universelles de compassion, de don de soi, de beauté et d'harmonie universelle. Il y a la fraternité, l'amitié entre toutes et tous, et une profonde unité entre tous les humains et avec tout ce qui nous entoure. Cependant, je suis d'avis que l'on ne franchit pas si simplement l'abîme qui sépare la conception du monde de peuples premiers comme les amérindiens et les présupposés inconscients du monde occidental.

Du côté occidental, comme le fait remarquer le Dr Jacques Mabit du Centre TAKIWASI, beaucoup de naïveté, une impatience infantile, des habitudes douillettes, une trop longue coupure d’avec la nature et le corps sauvage et, plus que tout peut-être, une ignorance crasse et généralisée de la dimension symbolique et des analogies entre humains, plantes animaux et forces du vent, de l'eau ou de la terre. Tout cela, avec peut-être une certaine hypertrophie de l’ego, fait de la rencontre entre Occidentaux et chamanes un marché de dupe, et plus souvent qu’on ne le croit.

Et l’objet du malentendu n’est pas un détail...car il s'agit carrément de l’éveil de la conscience. Sans parler de "wokisme", l'éveil des consciences est sans doute l'enjeu le plus important pour chaque être humain, chaque période de l'histoire, et chaque peuple. Ne sommes-nous pas sur terre pour exercer et réveiller notre conscience ? Car, pour ceux qui se contentent de "bien manger, bien dormir", d'avoir une vie sexuelle épanouie, et d'attendre paisiblement leur retraite, il n'est certes pas question d'éveil de conscience !

Mais pour ceux qui s'engagent sur un chemin d'éveil de la conscience au travers de remises en question, de pratiques inspirées du chamanisme, ou d'expériences personnelles d'union avec la nature ou l'univers, c'est un autre challenge.

L’illusion qui résulte des quiproquos entre les visions du monde des peuples premiers et les présupposés occidentaux peut rapidement se transformer en un terrifiant labyrinthe. On ne franchit pas en sifflotant le gouffre millénaire séparant la modernité de la magie préhistorique !

Il y a un contre-sens gigantesque dans la manière dont un occidental perçoit le chamanisme. Un occidental qui vit souvent dans une ville, bénéficie d'une infrastructure omniprésente, dispose sans même y penser de l'eau courante, de l'électricité, va faire ses courses au supermarché avec sa voiture quand il a besoin de quelque chose. Tout cela modèle la manière dont il interprète les agissements d'un chamane vivant dans sa culture traditionnelle, par exemple dans les steppes de la Mongolie ou au cœur d'une réserve amérindienne. Et ces interprétations inconscientes donnent naissance à des quiproquos, des incompréhensions et des manipulations. Parfois, le néo-chamanisme occidental, ou d'ailleurs les pratiques amérindiennes exportées par des Indiens eux-mêmes, touchent à de l'escroquerie organisée. C'est un peu ce qui se développe à Iquitos, au Pérou où une rue entière de la ville est bordée de "vendeurs" de cérémonies à l'ayahuasca, toutes plus chamaniques les unes que les autres, et sur la côte Ouest des Etats-Unis, où les cérémonies amérindiennes deviennent des biens de consommation courante de la middle class de la Silicon Valley

Et, s'il y a à la base une bonne volonté de part et d'autre, ce qui est tout de même parfois le cas, cela conduit souvent malgré tout à des quiproquos. Car il y a un énorme écart entre la perception du chamanisme dans les cultures qui le pratiquent traditionnellement, par exemple en Mongolie, ou chez les peuples amérindiens aujourd'hui, et dans les perceptions du néo-chamanisme en Occident. Ces différences sont de beaucoup sous estimées, ou artificiellement gommées.

L'occidental voit le chamanisme comme un moyen de se reconnecter à une nature qui lui semble perdue, de revenir à une sagesse traditionnelle ancestrale qui selon lui, aurait été préservée par les peuples premiers, un moyen de retrouver son âme perdue, sa puissance originelle de femme, ou de communiquer avec les animaux / avec les forces naturelles.

Dans le monde tribal, extrêmement structuré et hiérarchisé, c'est bien différent, car la survie du groupe a toujours priorité sur l’individu et des règles strictes doivent en permanence rééquilibrer les relations à l’autre et aux autres, animaux, végétaux, forces naturelles y compris. Dans les univers premiers, c'est le dysfonctionnement des équilibres qui explique toutes les maladies et toutes les infortunes. Par exemple, pour les Navajo, maintenir le "Hózhǫ", l'harmonie, prime sur la vie de l'individu. Il est dit que les Navajo ont tellement de tabous, tellement de comportements à éviter, qu'il est tout simplement impossible de les respecter tous. Il ne faut pas siffler, ni montrer du doigt, ni regarder quelqu'un dans les yeux. Il ne faut surtout pas être vu par sa tout belle-mère, ni croiser la trace d'un serpent, ni s'approcher d'un lieu où il y a des morts, ni avoir des cauchemars. Il ne faut absolument pas regarder une chouette, ni sortir par temps d'orage, encore moins s'il y a une éclipse de soleil ou de lune...et la liste est longue.

Par exemple, si pour l'occidental la vaccination obligatoire contre le Covid est souvent vue comme une atteinte à sa liberté, pour les peuples amérindiens dans leur grande majorité, ces vaccins sont tout à fait souhaitables car il s'agit avant tout de protéger les anciens, et cela même au détriment de sa propre vie. Et la vaccination est souvent renforcée par des pratiques magiques de protection. Il y aurait encore bien des éléments culturels à développer qui caractérisent le monde tribal et peuvent être source d’incompréhension entre Indiens et Occidentaux. Ainsi, la franchise occidentale sera perçue presque toujours comme une agression par un Indien...dont l’impossibilité culturelle à dire « non » sera vue comme une hypocrisie par le visiteur occidental. Comment faire comprendre en peu de mots que l’amitié entre un homme et une femme n’existe pas dans le contexte tribal en Amazonie ? Une Européenne bien intentionnée qui accepte aimablement un geste d’un indien… lui signifie en fait qu’elle est disponible sexuellement.

La capacité d’auto-illusion d'un Occidental est telle que face à l’attente d'une "révélation du chamane qui est en lui », et aux investissements engagés sur une telle démarche, les apprentis chamanes de l'occident se moquent de ceux qui les mettent en garde sur leur naïveté. Ils ne respectent pas les conseils des occidentaux qui ont passé de nombreuses années au contact des Indiens…et deviennent agressifs quand on met en cause leur « maître » de qui ils "ont reçu un nom Indien". Selon eux, ils font désormais 'partie des initiés' et ils savent mieux que vous ce dont ils ont besoin…. Contre tout de même le paiement de quelques centaines ou milliers de dollars ou de faveurs sexuelles…

Tout cela est regrettable, car dans les cultures amérindiennes, les pratiques chamaniques servent tout simplement à survivre dans un milieu extrêmement hostile. Par exemple, chez les Navajo, la cérémonie traditionnelle de la "Voie de la Bénédiction", le Hózhǫ́jí, est une cérémonie qui cimente la société tribale toute entière en ramenant à l'harmonie du Hozho. Il est nécessaire de la pratiquer dans beaucoup de situations de la vie courante. Son tarif, dans la réserve, est passé d'une donation libre correspondant à quelques dizaines d'euros il y a une trentaine d’années, à un prix fixe de 600 dollars en 2018, tarif absolument énorme pour des familles qui vivent largement en dessous du seuil de pauvreté

La question se pose donc : un Occidental peut-il aborder l’expérience chamanique authentique et ne pas contribuer à la dégradation chaque année plus rapide de ces pratiques dans les sociétés traditionnelles ?

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